
Photographie, retouche et uniformisation visuelle – Réflexion sur une dérive contemporaine
Et si la « belle photo » était devenue un style plus qu’une émotion ? Ce texte s’interroge sur l’évolution de la photographie à l’ère de la postproduction généralisée, des presets vendus en ligne et des rendus standardisés. Une réflexion nourrie d’expérience, sans nostalgie.
Sommaire
- Ce que voit l’œil n’est pas ce que voit le capteur
- Les questions que soulève ce carrousel
- Il n’y a pas une seule bonne manière de photographier
- La volonté de se démarquer alimente paradoxalement l’uniformisation
- La disparition des expérimentations photographiques créatives ?
- La surexposition des lieux et le mirage de l’originalité
- Exemple personnel : le Duomo de Florence
- Pour conclure
Ce que voit l’œil n’est pas ce que voit le capteur
Je suis récemment tombé sur un carrousel Before/After sur Instagram, illustrant le travail de postproduction sur plusieurs photos de paysages, publié par un photographe qui propose également ses presets Lightroom et des formations à la retouche photo.
Le rendu final est impressionnant : rayons de lumière accentués, teintes modifiées, contrastes sculptés. Une vraie démonstration technique, incontestablement maîtrisée.
Mais cette démonstration m’a fait réfléchir : à force de standardiser la postproduction, est-on encore dans une recherche personnelle ? Ou dans un processus de fabrication calibrée ?
Un peu de technique pour les photographes débutants
La dynamique d’une image se mesure en IL (Indice de Luminance), également noté EV (Exposure Value).
1 IL = un « stop », soit un doublement ou une division par deux du temps de pose ou de l’ouverture du diaphragme (par exemple f/4 → f/5.6 ou 1/125s → 1/60s).
Un fichier RAW moderne issu d’un boîtier hybride peut encaisser jusqu’à 14 IL de dynamique, contre à peine 3 à 5 IL pour une diapositive couleur (film inversible) de l’époque argentique. Cela permet aujourd’hui de modeler la lumière après coup. Avant, il fallait attendre la bonne lumière… et faire confiance à la prise de vue.
Les questions que soulève ce carrousel
Ce n’est pas un reproche au photographe, mais une interrogation : faut-il aujourd’hui se conformer à ces codes visuels dominants pour être visible ?
- Les paysages très retouchés sont devenus une norme, voire une obligation implicite.
- Ils héritent des filtres Instagram et des logiques de l’attention economy.
- Le naturel devient l’exception, et les styles sobres sont relégués au second plan.
- Les images générées par IA redéfinissent aussi les attentes visuelles.
- Les spectateurs sont parfois déçus sur place, car les lieux ne ressemblent pas à leur feed.
Il n’y a pas une seule bonne manière de photographier
La retouche est un langage, comme la composition ou la lumière. Mais quand tout devient spectaculaire, que reste-t-il à l’émotion ? La sincérité du regard est-elle encore perceptible ?
La volonté de se démarquer alimente paradoxalement l’uniformisation
À force de suivre les mêmes presets et tutoriels, beaucoup finissent par produire des images qui se ressemblent.
Et le photographe, souvent inconsciemment, se transforme en créateur de contenu suiveur d’algorithmes, au lieu de chercher un point de vue personnel.
La disparition des expérimentations photographiques créatives ?
Les blogs photo des années 2010 regorgeaient d’expérimentations : gouttes figées au flash, light painting, portraits scénographiés…
La montée de l’IA générative et des rendus spectaculaires semble avoir marginalisé ces démarches exigeantes. Pourquoi passer deux jours à créer une image quand Midjourney peut en produire dix en une minute ?
Mais que perd-on quand la difficulté disparaît ? Peut-être l’intention, la maîtrise, et le plaisir du processus créatif.
La surexposition des lieux et le mirage de l’originalité
Il suffit d’un hashtag pour savoir où se placer, à quelle heure, avec quel cadrage. Le lieu devient un décor, la photo un rituel à reproduire.
La contradiction est frappante : on cherche à se démarquer avec les mêmes outils que tout le monde. Est-ce encore une démarche artistique ?
Exemple personnel : le Duomo de Florence
J’ai photographié le Duomo de Florence depuis la Piazzale Michelangelo, sur trépied, à la tombée du jour. J’ai attendu que le ciel et l’éclairage s’équilibrent. Aucune superposition. Aucune Voie lactée ajoutée. Juste l’instant réel.
Faudrait-il une lune pleine, Saturne en arrière-plan et quelques lucioles IA pour qu’elle devienne « bankable » ?
Cliquez sur la photo, ci-dessous, pour l’afficher en plein écran.
Vous pouvez acheter un tirage d’art de cette photographie du Duomo sur la galerie en ligne Une image pour rêver, en édition limitée, signée et numérotée.
Toutes les photos de ce site sont protégées par copyright © Sebastien Desnoulez, aucune utilisation n’est autorisée sans accord écrit de l’auteur.
All the photos displayed on this website are copyright protected © Sebastien Desnoulez. No use allowed without written authorization.
Mentions légales
Pour conclure
La technique n’est pas le problème. Les presets, les IA, les tutos… tout cela peut nourrir la créativité.
Mais à une condition : que ce soit au service d’un regard personnel, pas d’une norme esthétique.
Photographier pour plaire, c’est facile.
Photographier pour dire quelque chose — ou simplement pour ressentir —, c’est plus difficile… et plus précieux.
Retrouver le plaisir de photographier pour soi, c’est déjà résister à l’uniformisation.
Pour aller plus loin
- Photographie, retouche et IA générative : quelles différences ?
- Évolution de la photographie : 40 ans entre film, numérique et mirrorless
À propos de l’auteur
Sebastien Desnoulez est photographe d’art spécialisé en architecture, paysage et voyage. Issu de l’école argentique, il a traversé les mutations du numérique tout en défendant une approche sensible et cohérente de l’image. Son travail repose sur la lumière naturelle, la composition et l’observation du réel, avec une préférence pour les rendus subtils et intemporels. Il est représenté par la galerie Une Image pour Rêver, qui propose ses œuvres en tirages d’art limités à 12 exemplaires.
Tags
Je suis représenté par la galerie
Une image pour rêver