Photographie expérimentale : entre hasard maîtrisé et poésie visuelle
Entre accidents heureux et intention artistique, la photographie expérimentale permet d’explorer un territoire fascinant : celui où la technique, la matière et le hasard dialoguent. Chaque image devient une aventure, à la fois imprévisible et soigneusement construite.
Ce rapport entre maîtrise et aléatoire, je le retrouve autant dans mes expérimentations avec le Holga que dans mes autres séries plus récentes. J’aime les photographies où une part d’incertitude subsiste, où la lumière ou le flou laissent au spectateur la liberté d’entrer dans l’image, de se l’approprier, d’en imaginer le contexte. Ce flou , qu’il soit optique ou poétique , ouvre l’image plutôt qu’il ne la ferme.
Le week-end dernier, lors de journées portes ouvertes d’ateliers d’artistes, j’ai rencontré le photographe Frédéric Carrayol. Sa démarche, entre rigueur du cadrage et développement aléatoire, m’a immédiatement parlé. Il photographie principalement en noir et blanc argentique, souvent à la chambre, avant de tirer ses images sur du papier ancien chiné en brocante. Le développement au révélateur lith, lent et capricieux, produit des moutonnements dans les ciels et une matière granuleuse proche des débuts de la photographie. Son travail illustre parfaitement cette tension féconde entre contrôle et imprévu, que je cultive moi aussi depuis des années dans mes propres expérimentations argentiques.
Le Holga : jouet fragile, outil d’expression
Le Holga est un appareil chinois de moyen format (6×6 cm) en plastique, doté d’une lentille en plastique et d’un obturateur fixe à 1/60s. Popularisé par Frédéric Lebain avec son livre « Mes vacances avec Holga » (2000), il est surtout connu pour ses fuites de lumière qui voilent le film. Ce défaut est devenu un atout artistique.
Utilisant du film 120, il fonctionne sans motorisation : l’avancement du film est manuel, basé sur les numéros visibles à travers une petite fenêtre… qui laisse aussi passer de la lumière ! Un simple gaffer noir devient indispensable pour éviter des voiles accidentels. Mais pourquoi ne pas jouer avec ces accidents ?
Manège – Série Hallucinations – Holga – Photo : © Sebastien Desnoulez
Mes expérimentations photographiques avec le Holga
À partir de 2004, j’ai commencé à explorer les limites du Holga et du film argentique à travers plusieurs techniques créatives :
1. Traitement croisé des films
Après avoir essayé plusieurs films négatifs couleur et Ilford XP2 400, j’ai testé du film inversible Fujichrome (diapo) que j’ai fait développer en négatif couleur. Ce traitement croisé (cross process) introduit des dérives colorimétriques imprévisibles : dominante verte, saturation extrême ou contrastes inversés selon le lot de film.
L’homme sans tête, Paris – Série Hallucinations – Holga – Photo : © Sebastien Desnoulez
2. Surimpressions et décalages
Le Holga permet d’exposer plusieurs fois la même vue ou de n’avancer le film que partiellement. J’ai pu réaliser des surimpressions décalées : architecture superposée à des textures végétales, silhouettes démultipliées ou scènes dédoublées.
Surimpression de grillages photographiés au Holga sur film Ilford XP2 – Festival des Parcs et Jardins – Chaumont sur Loire – 2004 – Photo : © Sebastien Desnoulez
3. Incrustation volontaire de la dorsale papier
En accentuant l’exposition à la lumière après la prise de vue, les repères de la bande papier (numéros, marques) s’impriment directement sur le film. J’ai aussi utilisé des LED colorées ou froissé la dorsale pour provoquer des motifs lumineux imprévus.
Tournesols – Série Hallucinations – Photo : © Sebastien Desnoulez
4. Utilisation de film 35mm dans un boîtier moyen format
En remplaçant le film 120 par du film 35mm (24×36) maintenu avec des cales, j’ai pu exploiter toute la hauteur du film, y compris les perforations. Cela donne une esthétique brute et cinématographique à mes images.
Attaque – Île de Ré – Photo : © Sebastien Desnoulez
5. Pose longue artisanale
Les premiers modèles ne possédaient pas de pose B. J’ai percé le boîtier pour y insérer un clou qui maintient l’obturateur ouvert. Grâce à cela, j’ai pu réaliser mes premières photos de nuit en pose longue.
Pont de la Tournelle – Paris – Photo : © Sebastien Desnoulez
Conclusion : entre hasard, graphisme et émotion
Avec le Holga, j’ai redécouvert une forme de joie instinctive : celle de photographier sans chercher la perfection technique. Chaque image est le fruit d’un équilibre fragile entre préparation et imprévu, entre la rigueur du cadrage et la liberté laissée à la lumière. Les accidents de film, les voilages, les fuites lumineuses ne sont pas des filtres esthétiques, mais des matières expressives qui participent à la composition. Le hasard, ici, est sous contrôle , ou du moins, accepté comme partenaire.
Surimpression de manches à air photographiées au Holga sur film Fuji – Jardin d’Acclimatation, Paris – 2005 – Photo : © Sebastien Desnoulez
Ce qui m’attire avant tout, c’est la dimension graphique et poétique de ces images : certaines frôlent l’abstraction, d’autres invitent à la rêverie. Elles laissent place au doute, au mystère, à l’interprétation. C’est cette même approche que je poursuis aujourd’hui dans mes séries contemporaines, qu’il s’agisse de flous volontaires, de reflets ou de jeux de profondeur : toujours cette idée que la photographie ne se contente pas de montrer, mais qu’elle suggère, qu’elle évoque.
À l’ère du tout-net et du tout-prévisible, cette photographie expérimentale artisanale est pour moi une manière de retrouver l’essence même du médium : capter non pas ce que l’on voit, mais ce que l’on ressent.
Quelques autres exemples issus de la série « Hallucinations » :
Cliquez sur les photos, ci-dessous, pour les voir en plein écran.
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À propos de l’auteur
Sebastien Desnoulez est photographe d’architecture, de paysages et de scènes urbaines depuis plus de 40 ans. Formé à l’école de l’argentique, il a couvert les plus grands événements sportifs dans les années 90 avant de se tourner vers la photographie artistique. Il documente aujourd’hui les évolutions du médium tout en poursuivant une pratique exigeante, entre rigueur technique et regard poétique.
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